11h52. Thomas était si impatient que les 8 minutes le séparant de son panier repas lui paraissaient infranchissable et son entrain était d’autant plus grand qu’il savait qu’aujourd’hui, les chances qu’il soit dérangés en pleine dégustation étaient basse. Comme l’on aurait pu s'y attendre, le verseurs dont le crochet avait lâché n’avait toujours pas été remis en état de marche et les ouvriers en voyaient donc leur charge de travail démultiplié. Ils ne mangeraient d’ailleurs probablement pas avant une bonne heure, sinon deux. Lelland ressentait de la peine pour eux, mais que pouvait-il y faire. Une personne de plus ne ferait pas grand différence, et puis, après tout leur travail hatif et leur mépris pour les règles de sécurité n’étaient-ils pas la cause de leur tourment? Lelland en était venu à la conclusion qu’il n’avait pas à endurer une énième une faute qui incombait à d’autres. Une fois sa culpabilité refoulée, il n’avait plus qu’une hâte : passer à table. 11h58. Le coordinateur céda: après tout, rien de ce qu’il aurait pu faire pendant les deux minutes restantes n’auraient pu être repoussé à plus tard. Mais à peine avait-il saisi le sandwich que son téléphone sonna. Étouffant un juron, il décrocha:

  • Lelland, coordinateur chez Stardis Pharmaceutique que puis-je pour vous?
  • Monsieurs Lelland? Mélanie Arno à l’appareil, institutrice à l’école Desanges. Elodie est dans ma classe. J’aurais aimé m’adresser à vous de tout urgence à propos de votre fille.
  • A quel point est-ce urgent?
  • Et bien disons que si vous pouviez passer d’ici 17heure ce soir…
  • Je suis au travail jusqu’à 17h30. Je suis désolé mais cela ne sera pas possible. Pourrions nous fixer un autre rendez-vous, ou si vous pouviez voir cela avec ma femme…
  • Nous l’en avons informé, elle sera présente. S’il vous plaît, je crains que nous ne puissions attendre beaucoup plus longtemps.

Lelland ne put retenir un soupir de lassitude, qu’il aurait souhaité moins bruyant d’ailleurs. Il se résigna donc.

  • Très bien, je ferais en sorte d’être présent.

L’institutrice le remercia d’un ton sec, avant de raccrocher. Qu’avait encore bien pu faire Elodie pour plonger l’établissement dans un état de si grande panique? D’un autre côté, Thomas comprenait. Les crises de la jeune fille pouvaient se révéler impressionnantes pour ceux qui n’étaient pas préparés. Appeler ses parents étaient sans doute la chose la plus évidente à faire dans ce type de situation. Un sentiment de fierté emplit le quinquagénaire, qui lui suffit à tenir le reste de la journée.

A 17h pile, sa femme et lui siégaient devant un bureau vide, tendus pour des raisons différentes. Lelland, les mains croisés sur son ventre, les yeux rivés sur le bout de ses chaussures, oscillait entre un sentiment d’agacement et de lassitude. On lui avait fait quitter son poste (et pas n’importe lequel, coordinateur étant un élément pivot du bon fonctionnement d’une entreprise) pour traiter d’un sujet qui de toute évidence ne paraissait même pas assez important à l’établissement pour qu’ils soient à l’heure. Il voyait sa femme du coin de l’oeil, les doigts crispés sur les phallanges, droite dans sa chaise, son genou gauche se relevant et s’abaissant à répétition. C’est alors que la porte de la salle de classe s’ouvrit enfin sur une femme de taille moyenne au regard vif et à la démarche dynamique. Celle qui devait-être Mélanie Arno, adressa un bref sourire au couples avant de leurs serrer la main, puis se posta derrière son bureau. Pendant un temps qui lui parut interminable elle farfouilla dans son sac, tandis que Lelland commençait clairement à s’impatienter, commençant à croire que toute cette mascarade avait simplement été mise en place pour l’importuner. Comme si elle avait entendu ses pensées, l’institutrice leur tendit plusieurs feuilles et l’homme crut apercevoir un sourire qui disparut au coin de ses lèvres aussi vite qu’il était apparu. Un comportement très peu adapté à la situation . Mais Thomas décida de ne pas y prêter attention, tandis que sa femme ne put retenir un léger gémissement. Elle tenait une feuille sur laquelle était dessiné deux bonshommes gribouillés qui semblaient en proie à un violent conflit;. Marianne tendit la main vers un autre dessin. On y retrouvait également les deux bonshommes à la différence que le conflit qui avait éclaté semblait beaucoup plus violent. A présent, le bonhomme le plus grand portrait des cornes, et des dents pointues dépassaient du trait épais et noirs qu’était sa bouche. Thomas réprima un hoquet de surprise, avant de jeter un oeil furtif à l’institutrice craignant ce que ses images avaient pu lui faire imaginer. Elle se contenter de les fixer, attendant patiemment qu’ils passent en revus tous les dessins. . La scène se reproduisait sur beaucoup d’autre feuilles, tandis que certaines ne montraient que le monstre humanoïdes tendant des bras menaçant, sous la lueur d’une imposante étoile d’un jaune pétant, qui apparaissait sur plusieurs autres également.. Sur ceux-là cependant, le démon souriait. On aurait presque plus croire qu’il tentait d’être amicale. Le couple reposa les feuilles sur le bureau, avant d’échanger un regard chargé d’incompréhension.

  • Je ne vais pas passer par 4 chemins: votre fille nous préoccupe beaucoup, l’équipe enseignante et moi-même. Ca ne vous aura pas échapper qu’Elodie est extrêmement solitaire, et peu se montrer impolie, voire blessante envers ses camarades
  • Notre fille à toujours été dans son monde ça ne date pas d’aujourd’hui. On y a déjà eu affaire à la maison, il suffit de lui laisser de l’espace, et la situation se règle généralement d’elle même. Elle a besoin de temps, tout simplement.
  • Certains de ces dessins datent depuis plusieurs mois. Votre femme et moi-même avions déjà échangé à ce propos il y’a plusieurs semaines, et j’avais promis de garder le contact pour vous faire part de potentiels évolutions.

Thomas jeta un oeil à sa femme, qui baissa les yeux d’un air coupable, Embarrassé, il fit ce qu’il put pour prendre l’air entendu de celui qui avait déjà été mis au parfum. Les coins de sa bouche légèrement tremblotant se relevèrent, et il prit une voix assurée.

  • Bien sur, et nous sommes content de voir que vous avez respecté votre engagement. Cependant, je ne comprend pas ce qui a changé entre aujourd’hui et la dernière fois.

Au regard d’incompréhension qui se lisait sur le regard de Madame Arno, Lelland compris qu’il avait fait une erreur. Marianne prit la parole pour la première fois de l’entrevue d’une voix hésitante:

  • Je n’ai pas eu l’occasion de t’en parler car tu étais au travail, mais Elodie à fait une nouvelle crise hier soir…

Thomas sentit sa gorge se nouer.

  • Je suis un peu…surpris de ne l’apprendre que maintenant ma chérie répliqua t-il en insistant bien sur les derniers mots de manières équivoques. Elodie n’a pas fait de crises depuis au moins 5 mois…
  • Deux semaines le coupa Mélanie qui désormais, Thomas le voyait bien, affichait lui jetait un regard chargé d’indignation. En fait elle n’a jamais vraiment arrêté, de ce que je pense comprendre des dires de votre compagne.